La voie de l\'excellence / Français Second Cycle

La voie de l\'excellence / Français Second Cycle

Une lecture de Une Vie de boy de Ferdinand Oyono

UNE LECTURE DE UNE VIE DE BOY DE FERDINAND OYONO

Proposée par ben moustapha diédhiou

Professeur de français des lycées

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

INTRODUCTION

 

I°) LA CONSTRUCTION DU MYTHE BLANC

 

II°) UN MONDE EN DECLIN

 

III°) UNE VOIE VERS LA LIBERTE

 

CONCLUSION

 

 

 

INTRODUCTION

 

   Roman africain écrit en 1956, et donc avant l’ère des indépendances, Une vie de boy de Ferdinand Oyono s’inscrit tout naturellement dans le large mouvement de revendication politique et littéraire, qui a été l’objet du Roman Négro-africain de la seconde période, période qui s’étale entre 1945 et 1960. En effet, avec une ironie qui se fait plus âpre et plus caricaturale, et en utilisant la figure emblématique de l’innocence, de la naïveté et de la candeur, l’enfant Toundi, boy du Commandant, l’écrivain camerounais montre la société coloniale sous un jour ridicule et sordide, avec les scènes d’une vie coloniale réduite à de minables intrigues de pantins médiocres.

Pour rendre compte des différentes thématiques que pose ce roman, il nous a paru nécessaire de nous écarter quelque peu des chantiers battus pour proposer une analyse qui suive les axes que voici :

1 – La Construction du Mythe Blanc ;

2 – Un Monde en déclin ;

3 – Une Voie vers la liberté.

 

 

I°)  LA CONSTRUCTION DU MYTHE BLANC

Dans Une vie de boy de Ferdinand Oyono divers clichés ont contribué à asseoir le mythe blanc. D’abord il s’est agit d’imposer à l’africain l’image du blanc considéré comme un être supérieur, bon et civilisé qui vient apporter la lumière, l’éducation, la civilisation et la religion. Dans un premier temps l’on peut voir le rôle non négligeable joué par l’église catholique qui par l’entremise des missionnaires a semblé proposer aux nègres un semblant de vie paisible éclairée par une foi en Dieu et au message livré par son Christ. Toundi rappellera à la page 115 le dernier commandement de l’Eglise que l’on peut interpréter comme l’ultime message du Christ : « Aimez-vous les uns des autres comme je vous ai aimé

Autre moyen pour imposer ce mythe blanc c’est de proclamer un semblant d’amitié qui en réalité n’est que la face  visible de l’Iceberg, c’est-à-dire la relation difficile entre le Noir et le Blanc. On comprend alors pourquoi lors de l’entretien d’embauche, le Commandant dit à Toundi : « Joseph, nous serons de bons amis. »

Mais, sur quoi repose cette amitié ? Sur deux choses simplement : le dévouement de ce nouvel esclave, car la mise garde est claire pour lui, « Si tu me voles, je t’écorcherai la peau. » et sa différence avec les autres : « Tu es un garçon propre ; (…) tu n’as pas de chiques, ton short est propre, tu n’as pas de gale, etc. (…) Tu es intelligent, les prêtres m’ont parlé de toi en termes élogieux. Je peux compter sur petit Joseph, n’est-ce pas ? »

 Au nom de l’amitié les blancs exploitent les noirs, et on le voit clairement dans le passage que nous venons de lire. Il y a donc là deux méthodes passives pour inféoder la race noire à celle blanche et lui faire accepter la colonisation comme allant de soi. Mais à côté de cette forme pacifique, se déroulait une autre tout aussi humiliante qu’abaissante en ce qu’elle repose sur l’injustice et la violence sans nom.  En effet, dans Une vie de boy le noir est constamment écrasé par le blanc, exploité, spolié, violé et violenté sans raison. Les scènes de violence sont omniprésentes dans le roman, car toutes les confrontations entre blancs et noirs sont une occasion pour les premiers de faire en sorte que les seconds les craignent et les respectent. Nous en voulons pour preuve cet échange entre Toundi et le Commandant. Le jeune adolescent nous dit :

« Ce fut un terrible moment à passer. Après m’avoir longuement observé, mon nouveau maître me demanda à brûle-pourpoint si j’étais un voleur.

Non mon Commandant, répondis-je.

Pourquoi n’es-tu pas un voleur ?

Parce que je ne veux pas aller en enfer.

Le Commandant sembla sidéré par ma réponse. Il hocha la tête, incrédule. »

La réaction du Commandant peut se comprendre si l’on sait qu’en application du syllogisme socratique, Toundi devait normalement être un voleur, parce qu’il est noir et le syllogisme se construit ainsi :

« Tous les Noirs sont des voleurs ; Or Toundi est un noir ; Donc Toundi est un Voleur. »

Toundi mentionne d’ailleurs à la page 154 les rabaissements et injustices attachés au métier de boy : injures, coups de pied, humiliations, toutes sortes de pratiques qui, pour le jeune adolescent, n’ont plus de secret pour lui. La chicotte était d’ailleurs l’épreuve quotidienne par laquelle le noir devait passer pour respecter l’autorité des blancs. Toundi dira à ce propos à la page 116: « la scène de la bastonnade m’avait bouleversé. Il y a des spectacles qu’il vaudrait mieux ne pas voir. Les voir, c’est se condamner à les revivre sans cesse malgré soi. »

En réalité ces scènes de violence injustifiées s’appuyaient sur des préjugés raciaux de toutes sortes, considérant le noir comme voleur, menteur, barbare. Tout ceci va imposer une image du blanc respecté et craint pour la violence et la torture qu’il est capable d’infliger aux noirs pour se maintenir au dessus de lui. L’on retiendra deux grands systèmes chacun remplissant des fonctions stratégiques pour maintenir vivant le mythe blanc.

On a d’une part l’Eglise dont la mission a semblé être d’offrir aux noirs une espèce de protection divine (l’Eglise considérée comme la maison de Dieu), une éducation (le Catéchisme) et une civilisation ; d’autre part, on a l’Administration coloniale qui en remplaçant les chefferies traditionnelles a bouleversé la hiérarchisation sociale en réorganisant la gestion des affaires sociales sous le modèle occidental. Elle va par la force, le mensonge, la violence et le vol ainsi que le mépris, l’humiliation et les préjugés maintenir les noirs sous la domination des blancs car son objectif était aussi de faire croire que le plus cancre des blancs valait mieux que le meilleur des nègres. L’Administration coloniale jouait donc le rôle du gendarme et était toujours prêtre à donner une correction exemplaire. On comprend alors cette réaction de Toundi qui nous interroge à la page 115 « Le prochain du blanc n’est-il que son congénère ? Je me demande, devant des pareilles atrocités, qui peuvent être encore assez sot pour croire à tous les boniments qu’on nous débite à l’église et au temple… »   

La complicité entre l’Eglise et l’Administration coloniale vont donc permettre d’asseoir le mythe blanc et c’est peut-être la raison pour laquelle Oyono fait entrer son personnage d’abord à l’Eglise sous le service du père Gilbert ensuite dans l’Administration coloniale sous le service du Comandant des blancs. L’innocence et la naïveté de Toundi sont donc la première arme pour la déconstruction du mythe blanc, ce qui nous permet de parler d’un monde en déclin.  

 

II°) UN MONDE EN DECLIN

La fragilité de l’enfant est le fil qui va permettre au lecteur de prendre conscience de la complexité des relations qui unissent les noirs et les blancs en Afrique. C’est une prise de conscience qui prend forme à partir du regard innocent du jeune Toundi qui, victime de la cruauté de son père, va chercher refuse auprès du père Gilbert qu’il décrit comme un homme gentil, agréable et vivant une vie meilleure bien que son physique le fait apparaître comme « l’homme blanc aux chevaux semblables à la barbe, mais habillé d’une robe de femme. »

L’enfant Toundi a une vision et une compréhension du monde limitées et dans sa logique innocente, le blanc est un homme bon parce qu’il «  donne de bons petits cubes sucrés aux petits noirs » (page 16).

Cette image fausse va progressivement s’effriter après la mort du père Gilbert, car, si à son entrée chez le Commandant comme boy, Toundi se croyait supérieur à tous les noirs « je serai le boy du chef des blancs : le chien du roi est le roi des chiens » (page 32), il va voir ses illusions tomber en désuétude parce que cela lui ouvre les portes de l’âpre réalité de la condition du noir. La vie d’un nègre sous le commandement du blanc n’est que misère et humiliation au quotidien.

Mais, le plus important est la démystification du blanc car Toundi découvre l’horreur : le commandant des blancs n’est pas circoncis. Il commence alors à perdre la valeur embellie du commandant qu’il pensait tout puissant et en rapport avec ses croyances africaines il ne peut lui accorder son respect.

La conséquence de cette découverte d’une réalité culturelle blanche va le pousser à revoir l’image supérieure qu’il accordait aux blancs car du point de vue de la culture camerounaise le commandant, puisqu’il n’a pas passé le stade de la circoncision ne peut pas être considéré comme un homme. C’est un signe majeur de la faillite d’un monde dans la conscience d’un enfant qui lui vouait une vénération quasi parfaite. C’est donc la chute du mythe blanc que Toundi explique en ces thèmes : 

« Cette découverte m’a beaucoup soulagé. Cela a tué quelque chose en moi… je sens que le commandant ne me fait plus peur. Quand il m’a appelé pour que je lui donne ses sandales, sa voix m’a paru lointaine. Il m’a semblé que je l’entendais pour la première fois. » (page 45)

A partir de là Toundi commence à découvrir et à nous présenter les différentes failles du monde blanc :

C’est d’abord l’hypocrisie de la femme du commandant qui entretient des relations répréhensibles avec Monsieur Moreau le directeur de la prison. Elle est la maîtresse de celui-ci et ne cache pas ses sentiments lorsqu’il ose inviter les Moreau en présence de son mari. C’est pour Toundi qui, a un profond respect pour son maître trompé par sa femme, la preuve palpable de la malhonnêteté  du monde blanc.

Un autre élément qui pousse Toundi à douter du monde blanc c’est le manque d’intimité de madame. Il ne comprend pas pourquoi sa maîtresse n’essaie même pas de cacher à ses serviteurs hommes, certains aspects typiquement féminins tels que les bandes hygiéniques qu’elle utilise. Un autre exemple de ce manque d’intimité se reflète dans l’épisode des préservatifs que Toundi trouve, par inadvertance, sous le lit.

Toundi semble donc remettre en question l’idée que les blancs sont plus civilisés, plus sophistiqués et mieux éduqués que les noirs. Pour lui, les blancs montrent un sans-gêne que les noirs n’auraient fait pour rien au monde. C’est là le signe d’une société en crise morale et qui par conséquent ne peut rien apporter à l’Afrique.

A travers cette analyse du déclin du monde blanc nous voyons comment le regard naïf de Toundi permet de découvrir un nombre important de défauts liés aux blancs, défauts qui peuvent être étudié isolement comme des thèmes : il s’agit de l’hypocrisie, de la malhonnêteté, du concubinage et du sans-gêne des blancs. C’est là l’image d’une société à la civilisation problématique au regard de la morale. L’image du blanc considéré comme un être supérieur n’est donc qu’une pure construction, un mensonge. La découverte d’une telle vérité devient alors importante car elle va systématiquement actionner la volonté des noirs de trouver une voie menant à la liberté.

 

III°) UNE VOIE VERS LA LIBERTE

La déconstruction du mythe blanc conduit progressivement Toundi et les noirs à se rendre compte de la nécessité de tendre vers un monde meilleur que celui que leur proposent  « ces serviteurs de Dieu armés de chicotte »  (page 54).

En effet, si le monde blanc était le paradis pour Toundi, il se révéla être progressivement le lieu d’une injustice qui permet la remise en question de tout ce que Toundi se faisait comme idée positive à l’égard du blanc. Devenu témoin gênant des écarts de la femme du comandant qui souhaite le faire disparaître, Toundi sera victime de la coalition mené par le directeur de la prison. Il sera arrêté et durement frappé avant de se retrouver à l’hôpital et sa fuite ne lui sera pas d’une grande utilité puisque bien qu’il ait quitté le pays, il mourra peu de temps après des suites de ses blessures. Mais les révélations de Toundi ont l’avantage de mettre en évidence la brutalité du système coloniale contre laquelle s’élève la voix contestataire du romancier.

Cette contestation du système coloniale née de la prise de conscience des noirs va donner le ton à une littérature qui revendique la liberté du nègre ou du moins un traitement plus humain. L’Europe est remise en cause dans ses fondements et ses croyances. Oyono accuse clairement les missionnaires paternalistes et les administrateurs en mettant à jour grâce à un ton ironique, la tragédie et la souffrance de la vie des noirs analphabètes qui acceptent naïvement la doctrine du colonialisme français. Cette dernière considération semble se donner à lire comme une incitation au colonisateur à réviser ses méthodes et sa mentalité et une invite au colonisé de guérir de ses faiblesses et de sortir de sa torpeur maladive.

La dénonciation et la contestation du système coloniale inscrivent le roman dans une orientation de rupture des liens de domination du blanc sur le noir. Cet engagement lucide confère au roman la valeur d’un témoignage relativement objectif sur l’univers colonial, car à partir de 1945, la guerre avec ses conséquences va accélérer la prise de conscience des intellectuels noirs qui voient la société coloniale surgir dans sa fausseté, son aliénation, sa violence ouverte ou latente, son hypocrisie sinistre et ses clichés racistes : c’est donc « la chute du mythe blanc ».

Dans le roman de Ferdinand Oyono, cette situation coïncide avec la présentation du tableau impitoyable de l’échec d’une religion importée (le Christianisme) et la dénonciation du rôle négatif de l’action missionnaire avec la complicité des prêtres (l’Eglise) dans l’oppression politique et économique du peuple noir. D’une manière générale, l’anticolonialisme caractérise Une vie de boy, ce roman qui retrace, avec une acidité comique, le portrait destructeur des pratiques coloniales et peint les transformations sociales du continent noir métamorphosé par un colonialisme dont il dénonce les conséquences néfastes : humiliations, préjugés de toutes sortes, misère matérielle et morale.

Oyono manifeste donc une volonté de dévoilement de la réalité et de déconstruction des stéréotypes tenus sur l’Afrique. Il dénonce avec ironie la présence coloniale, l’exploitation économique et les sévices infligés par les blancs, à travers un humour des plus dévastateurs. Ce qui fait de lui un militant de la cause du noir dominé, un militant qui occupe une place respectable dans l’évolution du Roman Négro-africain de la seconde génération, car c’est ce roman qui va véritablement impulser les indépendances africaines, des indépendances qui arrivent autour des années 60.

 

CONCLUSION

L’artifice romanesque du journal intime est pour Oyono un élément essentiel pour rendre compte des dures réalités de la colonisation, une réalité exprimée dans le roman par divers thèmes. A travers cet exposé, nous avons voulu examiner comment, dans Une vie de boy, les thématiques de la violence, de l’injustice, de l’humiliation, des préjugés raciaux associées à une volonté de civilisation et d’évangélisation ont contribué à asseoir un mythe et à le maintenir afin d’exploiter les noirs. Cependant, ce mythe qui s’est appuyé sur le déni “civilisationnel“ et culturel des nègres, va tomber en déclin parce que confronté à une force qui tire sa puissance de sa faiblesse, la naïveté et l’innocence de l’enfant, Toundi, qui fait découvrir le degré d’inhumanité d’une société qui pourtant se dit civilisée, l’Occident coloniale. La charge émotionnelle y parait donc d’autant plus forte que la victime du système est un enfant. Ce qui rend plus injuste et plus insupportable encore l’attitude des différents tenants de l’ordre colonial. Toundi se révèle un observateur attentif, tout à la fois naïf et perspicace, d’un colonialisme déliquescent. Ce regard innocent qui a fini de démasquer le mythe blanc, est aussi une voix qui dit l’urgence pour les noirs de recouvrer la liberté.

Sans effets pathétiques, le récit de l’itinéraire dramatique de Toundi, raconté par lui-même, réunit dans une même diatribe, sévère et pimentée d’une ironie grimpante, des personnages blancs odieux ou maladroits et des nègres impuissants et naïfs.

 



10/11/2010

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