La voie de l\'excellence / Français Second Cycle

La voie de l\'excellence / Français Second Cycle

Questions -Réponses sur certains mouvements littéraires

BEN MOUSTAPHA DIEDHIOU

PROFESSEUR DE Français des Lycées

benmoustaphadiedhiou@yahoo.fr

 

SIX QUESTIONS SUR LE ROMANTISME

 

 

Au sens littéraire du terme, le romantisme est une véritable révolution culturelle qui naît en Angleterre et en Allemagne à la fin du xviiie siècle, en réaction contre l'idéal classique et le rationalisme français. Le mouvement est une contestation globale, qui touche tous les domaines de l'art et de la pensée.

1. Qui sont les précurseurs du romantisme ? Quels thèmes développent-ils ?

Les manifestations de la sensibilité ne sont bien sûr pas l'apanage d'une époque en particulier. Les trente dernières années du xviiie siècle sont cependant marquées par quelques phénomènes majeurs qui se situent à l'aube du romantisme. Ainsi, Jean-Jacques Rousseau se démarque-t-il sensiblement du mouvement des Lumières dont il est pourtant contemporain. Dans la dernière partie de sa vie, il se consacre essentiellement à une œuvre autobiographique au centre de laquelle il place le « moi », comme jamais on ne l'avait fait auparavant. « Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple et dont l'imitation n'aura point d'imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme ce sera moi. » (Rousseau, les Confessions)

De même, il célèbre la solitude de l'âme et offre une vision de la nature qui annonce les grands textes romantiques. « Les rives du lac de Bienne sont plus sauvages et romantiques que celles du lac de Genève, parce que les rochers et les bois y bordent l'eau de plus près [...] il y a aussi plus de verdure naturelle, plus de prairies, d'asiles ombragés de bocages, des contrastes plus fréquents et des accidents plus rapprochés. » , écrit-il dans les Rêveries du promeneur solitaire. Les prémices du romantisme apparaissent dans cette exaltation d'une nature sauvage, proche des origines, où la présence humaine est à peine perceptible

Associé à celui de la nature consolatrice, le thème de l'amour malheureux se développe également avec force, par exemple dans la nouvelle Héloïse (Rousseau, toujours) ou, à la même époque, dans les Souffrances du jeune Werther (Goethe).

 

2. Qu'appelle-t-on le « mal du siècle » ?

Lorsque paraît, en 1802, René, roman autobiographique de Chateaubriand, le malaise de la génération romantique apparaît en pleine lumière. S'y révèlent en effet l'affirmation absolue du « moi » et le constat amer d'une incompatibilité avec les exigences du monde et de la société. Le « mal du siècle » est cette prise de conscience d'une inadaptation fondamentale de l'être sensible à son environnement social.

Dans un premier temps, les écrivains romantiques expriment donc un certain désenchantement : le monde est mauvais, la société corrompue, et toute tentative d'y remédier est vaine. Ainsi, Lorenzaccio, le héros de Musset dans la pièce éponyme (1834), s'engage pour sauver la cité de Florence de la tyrannie d'Alexandre de Médicis. Mais plus le temps passe, moins il perçoit le sens de sa mission. Il exécute le duc sans véritable espoir ni conviction, et un autre Médicis succède immédiatement au tyran. Ce scénario illustre bien l'esprit qui anime alors le romantisme : exaltation du « moi », volonté d'agir seul, même de manière désespérée, mais aussi intelligence vive qui abolit les illusions. Cet état d'âme particulier est souvent représenté par la caricature du héros romantique appuyé à une pierre tombale, dans un cimetière, sous la Lune.

 

3. Quelles sont les aspirations politiques et sociales des écrivains romantiques ?

À l'universalisme de la raison (tant valorisée par le siècle des Lumières), les romantiques préfèrent le retour aux sources nationales. Ils ont ainsi contribué à initier les soulèvements de peuples opprimés (par exemple, les Grecs contre les Turcs qui occupent le pays, ou encore le peuple polonais contre l'occupant russe). De même, au culte de l'Antiquité gréco-romaine, très en vogue dans les milieux révolutionnaires et impériaux, le romantisme oppose un retour au Moyen Âge et à ses mystères, ainsi qu'aux traditions chrétiennes. Si l'Europe des Lumières cultivait des valeurs universelles, comme la notion de « droits de l'homme », l'Europe romantique, elle, cherche à retrouver les racines des différents peuples qui la composent.

Sur le plan social, le romantisme est également militant. Lorsque Victor Hugo écrit « Les poètes sont les éducateurs du peuple » (William Shakespeare), il prend clairement position : le seul privilège de l'artiste est de posséder un moyen d'expression, qu'il doit mettre au service du peuple. Les injustices politiques et sociales deviennent la cible de nombreux écrivains romantiques qui entrent en politique pour faire entendre leurs idées. Lamartine, par exemple, est candidat à la présidence de la République (1848) ; Hugo manifeste une violente hostilité à l'égard de Napoléon III, ce qui lui vaut dix-neuf années d'exil.

4. En quoi la liberté est-elle une valeur profonde du romantisme ?

La somme de tout ce que les romantiques ont réalisé, en France et en Europe, tant sur le plan littéraire que sur le plan politique, peut être résumée en un mot : liberté. Le romantisme est en effet l'emblème de cette jeunesse née au début du siècle et frustrée des espoirs suscités par la grande épopée révolutionnaire et napoléonienne. Aussi, ce mouvement européen, au départ anti-français et anti-révolutionnaire, vire-t-il, en France, du monarchisme des débuts, au combat violent pour la liberté.

  • Liberté politique, d'abord : même conservateurs (comme Chateaubriand), les romantiques animent la lutte contre la censure et participent à la victoire des Trois Glorieuses contre le régime de Charles X.
  • Liberté morale, ensuite : ils tirent un pied de nez à l'ordre bourgeois.
  • Liberté artistique, enfin : Hugo « tord le cou à ce grand niais d'alexandrin » et crée le drame romantique, tandis que Musset (au théâtre), Lamartine (en poésie), Chopin (en musique) font entendre leurs voix singulières.

Pour cette génération et pour celles qui suivent, le romantisme incarne donc ces valeurs de révolte individuelle et de passion pour la liberté, proclamées par Hugo dans la préface de Hernani : « Jeunes gens, ayons bon courage ! Si dur qu'on veuille nous faire le présent, l'avenir sera beau. »

5. Quelles sont les formes littéraires privilégiées du romantisme ?

Sur le plan littéraire, les romantiques ont pratiqué toutes les formes d'expression, mais en les adaptant à leurs aspirations. La poésie de Hugo bouscule l'alexandrin et se permet des césures inouïes ; au théâtre, le drame (Hernani, Ruy Blas) donne lieu à de véritables batailles entre partisans et adversaires du romantisme.

S'il fallait, en dernière analyse, dégager les deux genres majeurs dans lesquels le romantisme a triomphé, ce serait sans doute la poésie lyrique (Lamartine, Musset) et le drame (Hugo).

6. En quoi la figure de Victor Hugo est-elle emblématique du romantisme ?

Victor Hugo (1802-1885) est peut-être l'auteur qui caractérise le mieux l’homme et l’écrivain romantique. Chaque étape de sa biographie est marquée par son engagement, son enthousiasme violent pour des idées littéraires, politiques et sociales neuves. Très jeune, il se lance dans la bataille pour un nouveau théâtre, avec Hernani (1830) et Ruy Blas. Il inaugure le drame romantique, véritable machine de guerre contre la tragédie classique qu'il veut détrôner. Le drame romantique se pose comme un théâtre total opérant le mélange des genres et offrant le spectacle à la fois sublime et grotesque de la réalité humaine, concentrée dans l'histoire d'un destin brisé.

Hugo se lance avec la même fougue dans l'action politique : il devient pair de France en 1845, prononce des discours importants en faveur de la liberté de la Pologne, se bat contre la peine de mort et les injustices sociales, se déchaîne contre Napoléon III. Ses choix politiques le contraignent à l'exil dans les îles anglo-normandes (Jersey puis Guernesey) pendant dix-neuf ans. Son retour en France est profondément marqué par les horreurs de la Commune (l'Année terrible, 1872) ; sénateur à partir de 1876, il devient une figure emblématique de la gauche républicaine.

Son œuvre littéraire exploite tous les genres et tous les registres : auteur de grands romans comme Notre-Dame de Paris ou les Misérables, il est également poète (les Contemplations, les Châtiments) et dramaturge (Hernani, Ruy Blas). Il rédige même une épopée de l'histoire de l'humanité, la Légende des siècles.

 

 

La citation

Le romantisme « n'est autre chose que le courant de la révolution dans les idées. » (Hugo)


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CINQ QUESTIONS SUR LE PARNASSE

 

Entre 1860 et 1866 prend forme un mouvement littéraire qui, en se fondant sur la théorie de « l’art pour l’art » et sur le culte gratuit du beau, s’érige contre le lyrisme romantique : c’est le Parnasse. Mais, dès 1830, Théophile Gautier en avait déjà produit la théorie.

 

Le parnasse désignait une montagne (située près Delphes) qui selon les athéniens, était le refuge d’Apollon (Dieu du soleil) et des Muses (Déesses de la poésie et de l’inspiration). Les parnassiens visent donc à l’éclat et au Beau.

   

1 - Que signifie la théorie de « l’art pour l’art » ?

 

Il s’agit d’un art désintéressé dont la seule fin est la beauté. En effet, les parnassiens rejettent tout épanchement  sentimental  et refusent de soumettre la poésie à la défense d’une cause quelconque. L’art, selon eux, doit être indépendant de la morale et de la politique. Leur formule de « l’art pour l’art » n’assigne à la poésie aucun but utile. D’ailleurs, Théophile Gautier (1811 – 1872), l’un des principaux animateurs de cette école, affirme dans la préface de son roman Mademoiselle de Maupin (1834) :

 

« Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid, car c’est l’expression de quelque besoin, et ceux de l’homme sont ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infime nature. »

 

2 – Quelle finalité devrait avoir l’art ?

 

Pour Gautier, l’art est par nature désintéressé. On ne doit lui proposer aucune autre finalité. Il  est à lui-même sa propre fin. Ce faisant, Gautier insiste sur le travail de la forme et de la technique poétique. La poésie devient alors métamorphose des sensations visuelles en sonorités musicales ou en impressions plastiques. Il redéfinit d’ailleurs le travail du poète plasticien en ces termes :

 

 

 

« Sculpte, lime, cisèle ;

Que ton rêve flottant

Se scelle

Dans le bloc résistant ! »

 Ainsi pour Gautier :

«  (…) l’œuvre sort plus belle

D’une forme au travail

Rebelle ».

 

 


3 - Pourquoi l’apparition du parnasse contemporain ?

 

 Le retour au primat de la forme sur le message, de la technique sur l’inspiration, devait rassembler, dans les années 1860-1875, un groupe de poètes autour de la revue Le Parnasse Contemporain.  Son titre même était une réplique aux déclarations de Lamartine qui avait prétendu, avec les romantiques, faire  « descendre la poésie du parnasse », c’est-à-dire la remettre au contact direct des émotions et des enjeux de l’histoire.

 

La revue du Parnasse Contemporain qui connaîtra trois livraisons (1866-1871-1876) va accueillir dans son premier volume, outre Gautier et Leconte de Lisle, Baudelaire, Mallarmé et Verlaine qui n’appartiennent pas à ce groupe.

 

4 - Quels sont les principes de base du Parnasse ?

 

La doctrine parnassienne s’élabore en plein Romantisme. Gautier, dans la préface de son roman Mademoiselle de Maupin (1836), en exprime les principes. Dix-sept ans plus tard, Leconte de Lisle, dans la préface de ses poèmes antiques (1852), les développera. En effet, à travers la doctrine de l’art pour l’art, les parnassiens définissent la poésie selon une série de principes qui réfutent les aspects fondamentaux de la poésie romantique.

 

Le premier, c’est le culte de la beauté qui s’inscrit contre la liberté d’inspiration et de forme revendiquée par les Romantiques. Il se définit comme le vœu  d’une forme idéale éloignée de toute tentation utilitaire mais aussi comme la recherche d’une beauté absolue et transcendante. Gautier dira à ce propos :

« Il  n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin, 1836)

 

Le second c’est le travail de la forme qui apparaît comme une réponse aux licences formelles du Romantisme qui, dans les genres poétique et dramatique, ont fait exploser les cadres conventionnels de la création littéraire pour favoriser l’expression du génie individuel. Le travail de la forme passe par une approche très technique de la poésie. L’art devient un métier, le poète, un artisan d’exception qui sculpte la forme mais aussi un styliste qui arrange, combine et harmonise sonorités et rimes, coupes et rythmes, syntaxe et vers pour créer un petit bijou. Au regard des poètes du parnasse, la recherche formelle n’est pas vaine. Elle est une voie d’accès à l’absolu et au monde pur de la signification.  Gautier enseigne :

« Une belle forme est une belle idée, car que serait- ce qu’une forme qui n’exprimerait rien ? » (Gautier, article paru dans l’artiste, 1856.)

 

Le troisième principe correspond à la règle de l’impassibilité qui du reste est une riposte aux débordements du « moi ». En effet, les Parnassiens ne s’opposent pas à l’expression de l’émotion. Pour eux l’effusion lyrique doit être circonscrite, c’est-à-dire limitée.  C’est pourquoi chez eux, les sentiments, souvent masqués par le symbole,  ne s’étalent pas à la vue du lecteur.

 

Le quatrième principe est celui de la distance qui s’inscrit en opposition avec l’engagement politique ou social jugé vulgaire. La poésie parnassienne est élitiste et aristocratique.

 

Le cinquième principe est le choix des modèles de l’antiquité comme une réponse au modernisme des Romantiques qui, sans réserve, ont ouvert la poésie au contemporain et à l’actualité. En effet, l’inspiration antique garantit la pérennité du contenu poétique, car les modèles antiques proposent des formes de beauté éternelles qui échappent aux variations de la mode et des courants littéraires. C’est pourquoi dans son ouvrage Emaux et Camées (1852), Gautier appelle de tous ses vœux le retour de l’art antique :

 

« Reviens, reviens, bel art antique. »

 

Le sixième principe est l’inspiration savante et intellectuelle, qui s’établit contre la subjectivité de l’inspiration personnelle et sentimentale du Romantisme. En effet, alors que le positivisme oriente le roman dans le sens d’un réalisme cautionné par la science, Leconte de Lisle réclame l’observation froide de la réalité. Il soutient :

 

« L’art et la science, longtemps séparés par suite des efforts divergents de l’intelligence, doivent donc tendre à s’unir étroitement, si ce n’est à se confondre. »

5 - Que retenir du Parnasse ?

 

Le Parnasse reste, en définitive, un mouvement Littéraire hostile à l’utilitarisme industriel et bourgeois et aux combats politiques des écrivains du romantisme, tels Lamartine et Hugo. Les poètes parnassiens, en réaction contre le Romantisme, libèrent l’art des préoccupations morales et politiques, en même temps qu’ils se méfient eux-mêmes du lyrisme. La poésie qu’ils mettent en avant, atteint ainsi la perfection esthétique, au moyen d’une technique rigoureuse et impersonnelle.

 

En effet, les parnassiens veulent un art impeccable et une technique sans défaut : « La plastique du vers, c’est-à-dire sa beauté purement musicale, est indépendante de la pensée ou du sentiment qu’il exprime », explique Sully Prudhomme dans son Testament Poétique (1901). Ils préconisent les formes contraignantes empruntées au Moyen Age et à la Renaissance, comme le rondeau, le dizain, le madrigal et surtout le sonnet, qu’ils conçoivent comme des pièces d’orfèvrerie. Dans la poésie parnassienne dominent les thèmes de l’harmonie, de la splendeur et de l’éternité. Le vocabulaire privilégie les termes descriptifs, abstraits et exotiques.

 

Pour les Parnassiens, la poésie c’est ce qui reste quand on éliminé tout ce qu’on peut traduire en prose. Or, lorsqu’on exclut de n’importe quel art tout ce qui est didactique, tout ce qui est utilité, tout ce qui est matière, il ne subsiste que de pures harmonies d’ordre quasi musical. N’est-ce pas ce qui fait dire à l’esthéticien anglais Walter Pater que « tous les arts aspirent à rejoindre la musique ». Les parnassiens ont donc cherché à retrouver la notion de poésie dans toute sa pureté et aussi dans toute son extension.

 

Mais, dix ans après sa naissance, le Parnasse est fragilisé par la systématisation de ses principes : la poésie est devenue un exercice formel et un jeu technique gratuit. Cependant cette période joue un rôle essentiel dans l’histoire de la poésie : d’une part, elle produit des œuvres majeures comme celles de Gautier, Leconte de Lisle, Banville, Heredia, d’autre part, elle fait avancer l’art poétique en arrêtant net les errances sentimentales et formelles du Romantisme.

 

Enfin, elle préface la pensée symboliste. En effet, à travers son rêve d’absolu, le Parnasse accède aux sphères d’une intelligence supérieure, pressent les correspondances entre les mondes visible et invisible, relève sans les explorer les signes énigmatiques d’une autre dimension.

 

C’est à cet univers du symbole qu’auront accès les poètes de la génération suivante – Verlaine, Rimbaud et Baudelaire – d’ailleurs tentés à leurs débuts par la théorie de l’art pour l’art (Baudelaire dédicacera ses Fleurs du mal à Théophile Gautier). Le Parnasse devient alors une porte ouverte au Symbolisme.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

QUATRE  QUESTIONS SUR LE SYMBOLISME

 

Quand Jean Moréas publie, en septembre 1886, le Manifeste du symbolisme dans le Figaro littéraire, et que Georges Kahn lance son journal le Symboliste, cela fait longtemps que le symbolisme est dans l'air du temps. Cette nouvelle doctrine poétique s'inscrit en effet dans le droit fil du romantisme et de l'art pour l'art. Son but est de réaffirmer la primauté de l'art et de la poésie sur la conception réaliste et matérialiste du monde. Le symbolisme réagit ainsi, sur le plan philosophique, contre le positivisme (qui voit tout en termes de faits « positifs », que la science doit expliquer), et, sur le plan artistique, contre le naturalisme.

1. Autour de quelles personnalités ce mouvement se forme-t-il ? Touche-t-il tous les arts ?

Le mouvement est en premier lieu poétique, mais touche aussi la peinture et la musique.

En poésie, les jeunes symbolistes reconnaissent pour maître Stéphane Mallarmé dont la recherche exigeante vise à faire du Livre le réceptacle de l'essence du monde. On classe également parmi les poètes symbolistes, Jules Laforgue (1860-1887) et Paul Verlaine (1844-1896), bien qu'il appartienne à la génération précédente et fasse plutôt figure d'inspirateur. Enfin, Charles Baudelaire (1821-1867) et Arthur Rimbaud (1854-1891), par leur conception « mystique » de la poésie, ont également ouvert la voie aux poètes symbolistes.

Dans le domaine théâtral, on retiendra le nom du Belge Maurice Maeterlinck (Pelléas et Mélisande). En musique, les artistes majeurs sont l’Allemand Richard Wagner et son œuvre magistrale l'Anneau des Niebelungen, mais aussi Claude Debussy (qui met en musique l'Après-midi d'un faune sur un texte de Mallarmé), Maurice Ravel et Gabriel Fauré.

En peinture, on peut citer Gustave Moreau, Odilon Redon, Puvis de Chavannes, mais aussi l’Autrichien Gustav Klimt ou le Norvégien Edvard Munch.

2. Comment expliquer le nom du mouvement ? Qu'est-ce que le symbole pour les symbolistes ?

Pour expliquer le nom donné au mouvement, Moréas écrit, dans un article du Figaro, que la poésie cherche dans les apparences sensibles « leurs affinités ésotériques [cachées] avec des Idées primordiales ». Cette théorie est en accord avec la pensée que Baudelaire professait trente ans plus tôt : « C'est cet immortel instinct du Beau qui nous fait considérer la Terre et ses spectacles comme un aperçu, comme une correspondance du ciel. » Et encore : « C'est à la fois par et à travers la poésie, par et à travers la musique que l'âme entrevoit les splendeurs situées derrière le tombeau. » (Notes nouvelles sur Edgar Poe, 1857).

Le mot symbole désigne donc ce qu'il signifiait déjà pour Baudelaire : cette part du monde sensible qui éveille l'âme au monde spirituel. La poésie est un lieu de passage et le symbole est le talisman qui nous ouvre la porte du monde invisible.

 

3. Quels sont les thèmes privilégiés de la poésie symboliste ?

Réagissant contre une certaine modernité, les symbolistes valorisent le passé, plus précisément ce qui est à l'origine, au commencement. Ils voient dans les mythes le « ruisseau primitif » (Mallarmé) et prônent le retour à l’Antiquité, comme un retour aux sources du langage.

Retour aux sources donc, mais aussi intérêt affiché pour les nouvelles théories de la psychanalyse : dans les thèmes d'inspiration comme dans les procédés, le rêve et son analyse sont au premier plan. Les poètes imaginent un autre monde dans lequel l'individu retrouve des souvenirs, des sensations oubliés. Le réveil y est décrit comme un arrachement et une nouvelle raison de fuir un réel où il paraît impossible de trouver sa place.

La relation amoureuse est présentée comme une fusion sensuelle et mystique (thèmes de la chevelure, du baiser, des corps qui se fondent). Intermédiaire entre le réel et l'au-delà, la femme est à la fois porteuse d'amour et de mort et peut prendre des identités inquiétantes, comme celle de Salomé chez Mallarmé (Hérodiade) ou chez Gustave Moreau.

Le mysticisme des symbolistes explique le climat de mystère qui imprègne l'esthétique de leur poésie : on affectionne les gazes, les vapeurs, les demi-teintes ; les objets sont saisis à travers un halo qui les transfigure, en sorte que la réalité semble toujours sur le point de s'évanouir, à la façon de ces êtres dont la présence est si ténue qu'on la dit justement « symbolique ».

4. Les poètes symbolistes ont-ils inventé un nouvel art poétique ?

Les écrivains symbolistes se proposent d'éveiller l'âme au monde spirituel et de suggérer, à travers le symbole, la réalité invisible. Cette ambition se déploie dans une poésie hermétique où le sens est démultiplié par la polysémie des mots et l'ambiguïté d'une syntaxe disloquée, empêchant toute interprétation univoque ; le lecteur est ainsi invité à participer lui-même à la création de l'œuvre.

Sur le plan formel, les jeunes symbolistes, s'inspirant des idées de Verlaine (Art poétique) et systématisant les expériences de Rimbaud (les Illuminations sont publiées en 1880) ou de Lautréamont (les Chants de Maldoror, 1869), se lancent dans l'aventure du vers libre. Le poème est appréhendé comme une forme autonome, définissant, à chaque vers, son mètre, sans respect de la rime, au profit de la musicalité de la langue.

 

 

La citation

« Nommer un objet, c'est supprimer les trois quarts de la jouissance du poète qui est faite du bonheur de deviner peu à peu ; le suggérer, voilà le rêve. C'est le parfait usage de ce mystère qui constitue le symbole : évoquer petit à petit un objet pour montrer un état d'âme, ou, inversement, choisir un objet et en dégager un état d'âme par une série de déchiffrements. »

(Mallarmé)

 

 

 

 

 

 

 

QUATRE  QUESTIONS SUR REALISME ET NATURALISME

Au sens propre, le réalisme est un mouvement artistique qui apparaît en France au xixe siècle et dont le projet est de contraindre l'art à représenter la réalité. Quelles sont les caractéristiques de ce mouvement ? En quoi la notion de « réalisme » n'est-elle pas sans ambiguïté ?

1. Quelles idées nouvelles sont à l'origine du réalisme ?

Ce courant littéraire apparaît en réaction contre le romantisme qui a marqué le début du xixe siècle. En peinture comme en littérature, le réalisme part en guerre contre le double idéalisme du « moi » et de l'art. Rejetant les sujets « nobles » et l'expression effusive des sentiments de l'âme qui caractérisaient le romantisme, les écrivains réalistes se donnent pour but de représenter fidèlement la société de leur temps, même dans ses détails les plus sordides. C'est, par exemple, le projet de Balzac lorsqu'il s'attelle à la Comédie humaine, vaste cycle romanesque qu'il veut « le plus grand magasin de documents que nous ayons sur la nature humaine ».

Le naturalisme, avec Zola comme figure de proue, s'inscrit dans le prolongement de ce réalisme militant. Il entend dresser le constat de la subordination de l'homme à son milieu, en décrivant la réalité humaine partout où on la trouve : le roman naturaliste explore donc les couches populaires (l'Assommoir), le prolétariat (Germinal), les milieux de la prostitution parisienne (Nana) ; il scrute aussi tous les états du corps, la transformation des hommes pétris par la foule, les failles du psychisme, etc.

Taxés d'immoralité par bon nombre de leurs contemporains, les réalistes défendent avec force leurs romans : « un roman est un miroir qui se promène sur une grand-route. Tantôt il reflète à vos yeux l'azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route. Et l'homme qui porte le miroir dans sa hotte sera par vous accusé d'être immoral ! Son miroir montre la fange, et vous accusez le miroir ! Accusez bien plutôt le grand chemin où est le bourbier, et plus encore l'inspecteur des routes qui laisse l'eau croupir et le bourbier se former. » (Stendhal, le Rouge et le Noir)

2. En quoi le projet réaliste est-il « scientifique » ?

« Aujourd'hui que le Roman s'est imposé les études et les devoirs de la science, il peut en revendiquer les libertés et les franchises », écrivent les frères Goncourt dans la préface de Germinie Lacerteux. De même Zola, pour défendre Thérèse Raquin, son premier roman, affirme que son « but a été scientifique avant tout ». Fascinés par les progrès scientifiques de leur époque et en particulier par la nouvelle science du vivant dont Claude Bernard formule les principes, les écrivains réalistes entendent donner à la littérature une nouvelle mission.

Élaboré selon des méthodes scientifiques (c'est-à-dire objectives), le roman doit être considéré comme un laboratoire : les personnages sont les cobayes, le romancier-théoricien est l'expérimentateur et l'histoire est l'expérience que l'on étudie. Les romans de Zola, en particulier, s'efforcent d'exhiber des lois scientifiques à partir de l'observation du réel. Ces lois sont, d'une part, celles de l'hérédité (c'est la folie de la tante Dide qui pèse ensuite comme une tare sur le psychisme de tous les membres de la famille, s'exprimant dans la violence ou dans l'alcool), d'autre part, celles de la société (les intérêts économiques déterminent les hommes). Cette dimension est manifeste dans la définition générale que donne Zola de son cycle des Rougon-Macquart : « Histoire naturelle et sociale d'une famille sous le second Empire » ; dans ce sous-titre les deux aspects du naturalisme sont bien présents, naturelle évoquant l'hérédité et sociale, la détermination économique.

3. Quelles sont les techniques employées pour reproduire fidèlement la réalité ?

Soucieux d'authenticité, la plupart des romanciers réalistes s'appuient sur une abondante documentation qui leur permet de décrire un milieu de façon rigoureuse et précise. Ainsi, avant de se lancer dans l'écriture de Germinal, Zola enquête sur le monde de la mine : il se rend dans le bassin houiller du Nord de la France. Il assiste à une grève, se renseigne sur le socialisme (en assistant à des réunions), interroge des médecins sur les maladies liés à la mine, visite des corons et descend même dans la fosse. C'est cette méthode scientifique d'investigation qu’il adopte afin de peindre fidèlement la réalité. Et, de fait, l'effet de réel naît bien de l'usage de termes techniques, de la transcription du langage des mineurs, de la peinture rigoureuse et « objective » des hommes et de leur activité.

La description devient le mode d'expression privilégié du romancier réaliste : elle permet tout à la fois de « faire voir » et d'ancrer l'histoire dans la réalité.

« Le Voreux, à présent, sortait du rêve. Étienne, qui s'oubliait devant le brasier à chauffer ses pauvres mains saignantes, regardait, retrouvait chaque partie de la fosse, le hangar goudronné du criblage, le beffroi du puits, la vaste chambre de la machine d'extraction, la tourelle carrée de la pompe d'épuisement. Cette fosse, tassée au fond d'un creux, avec ses constructions trapues de briques, dressant sa cheminée comme une corne menaçante, lui semblait avoir un air mauvais de bête goulue, accroupie là pour manger le monde. » (Zola, Germinal)

4. En quoi la notion même de réalisme est-elle ambiguë ?

Le projet réaliste en lui-même est ambigu à plusieurs titres. En effet, tout travail d'écriture nécessite inévitablement de prendre une distance par rapport à la réalité, ne serait-ce que parce que le romancier fait des choix subjectifs, met en valeur certains aspects de la réalité plutôt que d'autres et donc ne la restitue pas vraiment telle qu'elle est. Ainsi, des pans entiers la vie réelle ne contiennent rien qui puisse intéresser un récit : ne pas en rendre compte, c'est donc déjà tricher avec le réel. « Le réaliste, s'il est un artiste, cherchera, non pas à nous montrer la photographie banale de la vie, mais à nous en donner la vision plus complète, plus saisissante, plus probante que la réalité même. Raconter tout serait impossible, car il faudrait alors un volume au moins par journée, pour énumérer les multitudes d'incidents insignifiants qui emplissent notre existence. Un choix s'impose donc, ce qui est une première atteinte à la théorie de toute la vérité. » (Maupassant, Préface de Pierre et Jean)

Le romancier retravaille et modèle la réalité en fonction de sa vision du monde : le miroir qu'il utilise pour refléter le monde réel est, par essence, déformant. L'idéal d'objectivité et de description scientifique du monde apparaît alors comme une illusion. Même Zola, par son style, son talent d'écriture, la portée symbolique de ses descriptions, tire son œuvre vers le mythe.

 

La citation

« Ah ! Sachez-le : ce drame n'est ni une fiction, ni un roman. All is true, il est si véritable, que chacun peut en reconnaître les éléments chez soi, dans son cœur peut-être. » (Balzac)

 

 

QUATRE  QUESTIONS SUR LE SURREALISME

Le surréalisme, d'abord poétique, s’ouvre, pendant la période de la Première Guerre mondiale (1914-1918), à un vaste mouvement de contestation globale, qui vise à subvertir non seulement les formes artistiques, mais aussi les assises intellectuelles et morales de la société moderne. Le surréalisme marque, après la révolution de la peinture cubiste et de l'art abstrait dans les années 1910, la seconde naissance de l'art moderne.

1. Quels phénomènes préludent à la naissance du surréalisme ?

Dès la fin du xixe siècle, certains artistes peuvent apparaître comme les annonciateurs du bouleversement qui a donné naissance au surréalisme. Par exemple, lorsque Charles Baudelaire écrit : « Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau, / Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ? / Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau ! » (« le Voyage », les Fleurs du Mal, 1861), il pose des jalons pour une recherche poétique future. Alfred Jarry, avec sa pièce Ubu roi (1896), bouleverse quant à lui toutes les conventions théâtrales.

Parallèlement, les premiers travaux de Sigmund Freud paraissent au début du xxe siècle, mettant l'accent sur l'inconscient, les pulsions, et les conflits avec la morale qui en résultent.

Mais c'est véritablement la Première Guerre mondiale qui constitue le séisme majeur : après avoir causé plus de huit millions de morts, la « grande boucherie » laisse à la jeunesse de l'époque le sentiment d'un gâchis irréparable et absurde.

Le surréalisme naît de ces différents événements. Par ses thèmes, il renoue d'une certaine façon avec le romantisme des années 1830 : la jeunesse s'insurge contre les valeurs d'une société faisandée, elle lie son désir de vivre à la quête de la poésie, elle conteste la valeur de la raison. Cependant la révolte surréaliste est bien plus radicale que celle des romantiques : sa violence est celle de l'époque et son but affiché est de faire éclater toutes les formes pour libérer les forces vives de la pensée et du désir. Cette entreprise de dynamitage commence en 1918 avec le mouvement Dada animé par Tristan Tzara : « Liberté : DADA, DADA, DADA, hurlement des couleurs crispées, entrelacement des contraires et de toutes les contradictions : LA VIE. » (Tzara, Manifeste Dada, 1918)

Le mouvement se prolonge et s'accomplit ensuite par le rassemblement, autour d'André Breton et de la revue Littérature, du premier groupe surréaliste : des poètes comme Louis Aragon, Philippe Soupault, Robert Desnos, Paul Éluard ; des peintres comme Max Ernst, Francis Picabia, bientôt suivis de Salvador Dali et Giorgio De Chirico ; des cinéastes, enfin, comme Luis Buñuel ou René Clair.

2. Quelles tâches s'assigne le mouvement surréaliste ?

Comme le dadaïsme, le surréalisme refuse les conventions bourgeoises dans le domaine esthétique et moral, tout autant que la politique qui a mené au désastre de la guerre. Ainsi, le « beau » académique, le « bon goût » sont vivement critiqués. On leur préfère les arts primitifs, les œuvres rejetées, comme celles de Sade ou de Lautréamont (les Chants de Maldoror) ; on célèbre l' humour noir (dont Breton compose une anthologie, publiée en 1940), l'érotisme ; on transgresse tous les tabous. De même, la logique courante, les évidences psychologiques, les règles d'écriture, sont remises en cause par les surréalistes.

La publication en 1919 des Champs Magnétiques par Soupault et Breton, puis du Manifeste du surréalisme (Breton, 1924), assigne au mouvement la tâche d'explorer l'inconscient (Breton a lu Freud et pratiqué ses méthodes en tant que médecin psychiatre).       Cette mission implique une double révolution esthétique : d'une part, l'art cesse d'être une fin pour devenir un moyen (c'est la fin du symbolisme et de l'art pour l'art) ; d'autre part, en se vouant à l'inconscient, il cesse d'être une technique de représentation. Le surréalisme récuse ainsi, d'un même trait, et l'art et les artistes. Il leur substitue deux autres termes : d'un côté, l'écriture automatique (à la place du travail artistique) et, de l'autre, l'inconscient (à la place de l'artiste).

D'où cette définition que donne Breton du surréalisme : « Automatisme psychique pur par lequel on se propose d'exprimer le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. » On y retrouve le rejet conjoint de l'art et de la morale, de même que l'idée d'un art « automatique » qui révèle l'être profond. Attention, cependant :

  • cet être profond n'a rien à voir avec le « moi » (celui des romantiques, par exemple), mais avec une pensée « pure » et anonyme dont le cerveau est le théâtre ;
  • cet art surréaliste ne vise aucune « surréalité » au sens d'un au-delà (contrairement au symbolisme), mais une réalité cachée qui est plutôt « dedans » ou « derrière » que véritablement « sur ».

3. Quelles sont les techniques d'écriture des surréalistes ?

Pour déjouer les habitudes du langage, les surréalistes recourent à l'écriture automatique qui, selon eux, permet de faire affleurer des mots, des fantasmes que la morale ou le sens esthétique ne permettraient pas d'écrire. Les expériences de sommeil hypnotique et les récits de rêves alimentent également la créativité surréaliste. Le hasard est élevé au rang de technique d'écriture : « cadavre exquis » (chacun écrit à tour de rôle sans savoir ce que l'autre a écrit) et textes rédigés à plusieurs mains (l'inconscient de l'un est censé aimanter l'inconscient de l'autre) mettent en présence des éléments du langage qui ne sont pas liés par la logique. Pour Breton, il s'agit de déchiffrer la vie « comme un cryptogramme » (Nadja).

Voici un extrait de Clair de Terre d'André Breton :

« Plutôt la vie que ces prismes sans épaisseur même si les couleurs sont plus pures

Plutôt que cette heure toujours couverte que ces terribles voitures de flammes froides

Que ces pierres blettes

Plutôt ce cœur à cran d'arrêt

Que cette mare aux murmures

Et que cette étoffe blanche qui chante à la fois dans l'air et dans la terre

Que cette bénédiction nuptiale qui joint mon front à celui de la vanité totale

Plutôt la vie […] »

On voit ici que la parole poétique accumule les objets en toute liberté (prismes, voitures, pierres, cœur, mare, étoffe), mais que l'ensemble est lié par l'énergie de l'affirmation récurrente (« Plutôt la vie ») et par l'antithèse qu'elle sous-tend (entre « la vie » et tout ce qui n'est pas elle : la compromission, le mensonge d'une « bénédiction nuptiale », la vie ordinaire).

Surtout, ce texte permet de saisir en quoi consiste l'image poétique surréaliste : non pas à rapprocher des réalités analogues (comme une métaphore traditionnelle), mais, au contraire, des réalités éloignées (« la rencontre, dit Breton, d'un parapluie et d'une machine à coudre sur une table de dissection »). L'image surréaliste est dans ce rapprochement où l'inconscient, semble-t-il, se révèle par le choc des contraires.

 

4. Quelles sont les orientations politiques des surréalistes ? Quels événements marquent la fin du mouvement ?

Les surréalistes souhaitent faire de leur mouvement une force de construction, et s'orientent, politiquement, vers le communisme, parti révolutionnaire qui incarne pour eux le progrès, du moins dans les premiers temps. Très vite pourtant, les instances du parti communiste voient d'un assez mauvais œil les idées libertaires des surréalistes (les communistes « classiques » adoptent volontiers une morale très conservatrice). Certains quittent alors le parti de leur plein gré ou en sont exclus, d'autres, comme Aragon ou Éluard, choisissent à l'inverse de s'éloigner du surréalisme.

Dans les années 1930, le mouvement se disloque peu à peu, mais Breton affirme la pérennité de sa recherche. Malgré cette fin annoncée, le surréalisme apparaît comme le noyau originel de quelques-unes des plus grandes œuvres poétiques (Éluard) et romanesques (Aragon) du xxe siècle.

 

La citation

« Comment veut-on que nous manifestions quelque tendresse, que nous usions de tolérance à l'égard d'un appareil de conservation sociale, quel qu'il soit ? [...] Tout est à faire, tous les moyens doivent être bons, pour ruiner les idées de famille, de patrie, de religion » (Breton)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

QUATRE  QUESTIONS  SUR

 LA CRISE DU ROMAN AU XXe SIECLE

Protéiforme, se ramifiant en d'innombrables sous-genres, le roman est un genre littéraire particulièrement difficile à cerner. Toutefois, des constantes semblent se dégager, qui constituent les conventions romanesques : selon la définition du Petit Robert, le roman est une « œuvre d'imagination en prose, assez longue, qui présente et fait vivre dans un milieu des personnages donnés comme réels, fait connaître leur psychologie, leur destin, leurs aventures ». Lorsque l'on ouvre un roman, on s'attend à y retrouver ces éléments : c'est ce que l'on appelle l'horizon d'attente du lecteur. Or, certains romanciers du xxe siècle ont pris le parti, dans leurs œuvres, de rompre avec les conventions romanesques, de déconstruire le genre. En quoi consiste cette « crise du roman » ?

1. Avant le xxe siècle, le roman est-il mis en cause ?

L'histoire littéraire est jalonnée de textes qui, bien avant la crise du xxe siècle, ont mis en cause le roman. Voici par exemple l'incipit du roman de Diderot, Jacques le fataliste (1796) : « Comment s'étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde. Comment s'appelaient-ils ? Que vous importe ? D'où venaient-ils ? Du lieu de plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce que l'on sait où l'on va ? Que disaient-ils ? Le maître ne disait rien ; et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut. »

Dans cet extrait comme dans l'ensemble du roman, Diderot joue avec les conventions romanesques : il mime les questions traditionnelles du lecteur et refuse délibérément d'y répondre. Le narrateur de ce roman est omniscient (comme c'est souvent le cas), mais au lieu de tout dire des personnages, de leur passé et de leurs sentiments, il joue justement de son omniscience pour dérouter le lecteur.

De même, Furetière, en 1666, révolutionne dans le Roman bourgeois les conventions romanesques de son époque, d'une part en prenant pour personnages principaux de simples bourgeois (et non des aristocrates comme il était d'usage), d'autre part en construisant son récit de façon décousue, interrompant sans cesse la narration par des anecdotes, des commentaires, des fragments de discours, etc. Dans l'extrait suivant, il évoque avec humour la tradition des romans précieux qui veut que l'on rapporte en détail les paroles d'un amant venu enlever sa belle (ici, Javotte) : « Je ne tiens pas nécessaire de vous rapporter ici par le menu tous les sentiments passionnés qu'il étala et toutes les raisons qu'il allégua pour l'y faire résoudre, non plus que les honnêtes résistances qu'y fit Javotte, et les combats de l'amour et de l'honneur qui se firent dans son esprit : car vous n'êtes guère versés dans la lecture des romans, ou vous devez savoir vingt ou trente de ces entretiens par coeur, pour peu que vous ayez de la mémoire. Ils sont si communs que j'ai vu des gens qui, pour marquer l'endroit où ils en étaient d'une histoire, disaient 'J'en suis au huitième enlèvement', au lieu de dire : 'J'en suis au huitième tome.' ».

2. À quelles conventions les romanciers du début du xxe siècle s'attaquent-ils ?

De nombreux grands romans du xxe siècle témoignent de recherches formelles et thématiques qui mettent en cause le genre : Ulysse de James Joyce (1922), À la recherche du temps perdu de Marcel Proust (1913-1927), Voyage au bout de la nuit de Céline (1932), l'Homme sans qualités de Robert Musil (1930-1952), l'Étranger d'Albert Camus (1942).

Toutes ses œuvres, chacune à leur façon, mettent en cause les grands traits du genre romanesque : la psychologie des personnages, la notion de héros, la narration linéaire, etc. Chez Musil ou Céline, par exemple, le héros n'est plus cet être hors du commun, choisi par le destin, ou dont les épreuves forgent le caractère. Il est sans consistance, sans histoire (« sans qualités »), et sa vie n'est constituée que de fragments dissociés, privés de sens.

3. Qu'est-ce que le Nouveau roman ?

Au début des années 1950, un petit groupe d'écrivains français remet en cause de façon plus radicale les principes qui fondent le roman réaliste traditionnel. Ils se nomment Nathalie Sarraute, Alain Robbe-Grillet, Claude Simon, Michel Butor, Marguerite Duras, etc. Ils appartiennent à la mouvance du « Nouveau Roman » qui constitue peut-être la plus grande crise que le roman ait connue.

Pour ces romanciers, le monde moderne a fait entrer la littérature dans « l'Ère du soupçon » (selon le titre d'un recueil de Sarraute) : on ne peut plus croire aux histoires trop simples qu'on nous raconte et ce « soupçon » s'applique d'abord aux personnages. Ainsi, par exemple, dans cet extrait du Planétarium (Sarraute, 1959), Tante Berthe se plaint à son frère Pierre de la méchanceté de son fils Alain, puis observe sa réaction : « Il se renverse en arrière... 'Ah, sacré Alain va, qu'est-ce qu'il a encore fait ?' Elle sait, elle reconnaît aussitôt ce qu'il regarde en lui-même avec ce sourire intérieur, le film qu'il est en train de projeter pour lui tout seul sur son écran intérieur : [...] lui devenu tout vieux et pauvre, debout dans la foule, là, au bord de la chaussée, serrant contre lui, car il fait froid, son pardessus râpé, et attendant pour voir le beau cavalier (elle sentait à ce moment quelle volupté il éprouvait à voir dans les yeux de l'enfant, sous les larmes de tendresse, de déchirante tendresse, briller des éclairs d'orgueil), le conquérant intrépide, dur et fort, traînant tous les cœurs après soi..., etc. »

Ce texte montre comment le personnage de Berthe est happé par l'univers intérieur de l'autre, et comment l'écriture romanesque est elle-même entraînée par la force du « tropisme » : on passe de l'intérieur de Berthe à l'intérieur de Pierre, lui-même fasciné par Alain ; les propos que Berthe se tient à elle-même sont écrasés par un magma de citations et de clichés ; le « moi » n'existe plus en lui-même. Du coup, il devient impossible d'articuler, comme le faisait Balzac, les histoires à la volonté d'un personnage placé au centre de l'aventure.

L'histoire et l'espace subissent le même traitement. Les temps se mélangent, l'imaginaire prend le pas sur la réalité, la réalité elle-même se transforme dans d'interminables descriptions.

Le Nouveau Roman, sans parvenir à supplanter le roman traditionnel, propose ainsi à des lecteurs curieux des narrations insolites où la force du langage et de l'imaginaire perturbent nos repères et modifient notre vision du monde.

4. Qu'est-ce que l'OuLiPo ?

Autre mise en cause du roman, l'OuLiPo (OUvroir de LIttérature POtentielle) est un mouvement créé en 1960 par Raymond Queneau et François Le Lionnais. Leur objectif est d'explorer méthodiquement les potentialités de la langue française et de la littérature. L'une de leurs méthodes consiste ainsi à se donner des contraintes formelles très fortes, comme par exemple rédiger un récit complet sans utiliser la lettre e (c'est le cas dans la Disparition de Georges Perec). De même, Queneau construit le roman les Fleurs bleues sur un schéma mathématique : divisé en quatre séquences par bonds de 175 ans, le roman s'achève en 1964 qui est le moment de l'écriture. L'auteur est alors contraint par son propre schéma à prendre en compte les événements qui se sont produits en 1264, 1439, 1614, 1789 et 1964. Tel est l'un des principes de l'OuLiPo : c'est la forme choisie qui construit le récit.

 

La citation

« Le nouveau roman met en cause, en effet, avec une virulence quasiment croissante au fil des livres, un phénomène d'envergure, franchement ou insidieusement actif dans la plupart des institutions humaines, et peut-être l'objet d'une manière de tabou : le RÉCIT. » (Jean Ricardou, le Nouveau Roman.)  



11/11/2010

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